Ceci est une communication depuis le fin fond du Bush. Tout va bien mais mon accès est très limité. Vous aurez donc un post sans photos, histoire que je rattrape un peu mon retard. Nous sommes le mardi 16 quand commence le récit.
Chez David, on ne peut pas dire que je déborde d’activité.
Mais heureusement, par l’intermédiaire d’une autre requête de wwoofing, j’ai
rencontré Allister. Allister est un grand hippie, blond, les cheveux longs et
le barbe, l’air doux, originaire d’un peu plus bas sur la côte Est. Il vit à
Machans Beach, sur la commune de Cairns mais très au Nord, dans une grande
baraque qu’il loue avec son pote Jay, qui s’occupe du potager de la maison.
Mais surtout Allister est impliqué dans Real Food Network (RFN), un réseau qui
fait la tournée des fermes du coin deux fois par semaine pour collecter fruits
et légumes de saison, dont 50 % bio. Ces collectes alimentent ensuite des
FoodBox, l’équivalent des paniers en Amap (ou plutôt dans d’autres réseaux
regroupant des producteurs), divers marchés dans les localités du coin, mais
aussi un petit magasin dans le centre de Cairns, magasin qui a en plus la
particularité d’employer des personnes en situation de handicap. Les belles
initiatives que voilà ! Et ni une ni deux, alors que je loge encore chez
David, me voilà embarquée avec eux.
Première étape, visite du magasin, où il y a même un système
d’aquaponie pour les aromatiques (recyclage de l’eau d’arrosage après nettoyage
par les poissons). Allister m’embarque ensuite visiter la maison, après un
arrêt à un stand de smooties tenu par deux sympathiques hurluberlus qui ont un
petit air de ressemblance avec mon guide du jour. Peut-être ce sourire lumineux
des êtres épanouis. En tout cas, à être près d’Allister dont l’enthousiasme est
contagieux, on se prend vite à arborer le même. La moindre tâche ingrate semble
devenir « good fun » à l’écouter.
La maison est bien chouette, très ouverte avec un jardin… et
bien tropical, et il est question que je vienne y emménager, occuper le lit dans
un coin du balcon circulaire. Mais pas tout de suite, car j’ai d’abord
rendez-vous avec une ferme chevrière à la fin de la semaine. Par contre, ce
soir, il y a un meeting du groupe local de permaculture et je suis chaudement
invitée à y participer, puis à revenir partager un des délicieux repas que Jay
concocte apparemment. Au programme, deux interventions, une sur la nécessité de
retisser l’urbanisme pour renforcer la vie en communauté et les liens entre les
gens, et l’autre sur la préparation aux cyclones, courants dans le coin. Si le
premier est suivi avec attention (et il fourmille en effet d’études sur
l’importance si on veut réduire l’utilisation de la voiture de maintenir une
gamme de commerces de première nécessité dans un rayon accessible à pied, et
d’idées originales comme ses mobilisations citoyennes pour occuper sa place de
parking et en faire le temps d’une journée : un jardin d’hiver, un salon,
un bar, une piscine…), le second ne suscite pas autant d’enthousiasme. Et
pourtant j’ai l’impression que la plupart des spectateurs ne sont pas forcément
au point sur le sujet. Alors que la soirée glisse vers un apéritif dinatoire
avec les produits apportés par chacun et la diffusion d’un petit film, la
fatigue nous fait finalement retourner chacun chez soi, avec rendez-vous demain
après-midi, pour monter à Kuranda d’où nous partirons jeudi matin pour faire le
tour des fermes.
Le mercredi matin je commence avec David les plantations de
graines, mais j’attends avec impatience l’après-midi. On monte dans un premier
temps sur Kuranda même pour aider à déménager un frigo que le réseau vient
d’acheter pour la boutique, et on se retrouve finalement à attendre Sjoerd, un
des deux piliers de RFN, au Kuranda Original Market, en compagnie de Robert,
Mauricien qui parle français, anglais et créole, Ricardo, un de ses wwoofers
italien, Frêne, français arrivé en Australie il y a 15 ans et à Kuranda il y a
deux mois, dormant actuellement dans l’échoppe de RFN sur le marché, sculpteur
sur bois, et un homme aux cheveux blancs, la soixantaine, qui ne m’est pas
vraiment présenté. Ça fait beaucoup de bras et bien trop de cerveaux pour la
manipulation d’un frigo, mais finalement, après déplaçage de machines à laver)
celui-ci est placé et ficelé sur une remorque, et nous suivons le chargement
jusqu’à chez Sjoerd.
Initialement, c’est à Sjoerd que j’avais envoyé ma requête
de wwoofing, mais lui et sa compagne Melissa ne prennent pas de wwoofers
actuellement. Dommage d’un côté, car la maison est magnifique. C’est un
octogone de bois sur deux étages, entièrement ouvert au 1er en mezzanine et
avec très peu de cloisons au rez-de-chaussée et une rosace de marbre enchassée
au centre de la structure. Mais il n’y a dans les faits pas grand-chose à faire
dans l’immédiat, car le jardin est tout sauf commencé et, s’il est dans leurs
projets de bâtir dans la grande prairie en contrebas un grand nombre de
maisonnettes, tipis et autres structures en bois, pour l’instant c’est de
l’herbe vierge qui s’y étend. Alors qu’Allister et Sjoerd règlent des détails
liés au réseau et à la gestion des produits, l’homme aux cheveux blanc,
Augustino, me harponne, et nous commençons à discuter. Enfin, il parle, et
j’écoute, pour la plus grande part de notre conversation. Mais le fond n’est
pas inintéressant. Au-delà de nos histoires personnelles et de ce qui nous a
amené ici en Australie on aborde évidemment, comme au cours de presque toutes
mes conversations ici, l’eau, la nourriture, le développement durable.
Et puis à un moment j’ai l’impression de perdre complètement
le contrôle de la conversation (si je l’ai jamais eu), ou les pédales car nous
dévions brusquement sur la mémoire de l’eau, les aliments qui peuvent nous
soigner et qu’on reconnait à leur ressemblance avec certaines parties de notre
corps (des exemples ? mais volontiers. Le raisin serait bon pour le sang,
oui. Parce qu’il est rouge ? Je ne sais pas. La tomate soigne le cœur, car
comme lui elle a des chambres. La fraise aussi est bonne pour le cœur, bien
qu’elle n’en ait pas, elle, de chambres. La mangue est bonne pour le foie,
etc.) et aussi que certaines personnes sont tellement avancées qu’elles n’ont
pas besoin de manger mais simplement de porter ces aliment sur elles, car c’est
la vibration, l’énergie de la plante qui les soigne… Pinacle de notre échange,
j’apprends que c’est la pollution qui nous tue, que certaines études ont montré
qu’on pouvait maintenir des cellules éternellement en vie en milieu de culture
(oui enfin c’est des cellules hein, pas un organisme entier…), que selon ce
même type d’étude nous devrions pouvoir vivre au moins 150 ans en bonne santé
et que certains grands maitres ont même vécu des centaines, voire des milliers
d’années. Bien bien biiieeennnn.
C’est fou comme cet homme qui me semblait parfaitement
rationnel il y a 10 minutes est en train d’heurter mon esprit scientifique qui,
bien que croyant à l’importance d’une nourriture saine, a du mal à avaler
toutes ces couleuvres. C’est-à-dire que… les télomères des chromosomes qui les
empêchent de se diviser plus d’un certain nombre de fois… et puis ça voudrait
dire qu’à une époque moins polluée tout le monde vivait éternellement ? On
m’aurait menti sur la durée de vie au moyen-âge ? Je sens bien que je suis
une affreuse sceptique mais je ne peux m’empêcher de me braquer, tout en
affichant un sourire poli. La fatigue aidant, j’en prends prétexte pour me
retirer sous l’escalier où je dors cette nuit, non sans apprendre de la bouche
d’Augustino parlant à Allister, que nous avons eu une conversation passionnante
et que je suis quelqu’un d’exceptionnel.
Ah.