De
Crystal Waters, on m’avait beaucoup parlé. Communauté
existant depuis près de 35 ans, centrée autour de la permaculture et d’une vie
harmonieuse avec la faune sauvage, le tableau était pour le moins alléchant.
Mais comme je devais vite m’en rendre compte, y wwoofer n’est pas si facile.
Sur la dizaine d’hôtes qui habitent l’endroit, ceux qui m’intéressaient le plus
n’étaient soit pas disponibles, soit proposaient des conditions ou des projets
qui ne m’intéressaient pas vraiment. Mais un échange de mails soutenus et
chaleureux avec Max Lindegger, fondateur de l’endroit, me donne l’occasion de
m’y rendre pour quelques heures. Pendant
que nous plantons des laitues en compagnie de Dessa, une volontaire
brésilienne, Max m’expliquera un peu l’histoire de la communauté et certaines
de ses techniques de jardinage, sans aucun secret. Je suis, encore une fois, un
peu déçue de la façon dont est organisée sa propriété, considérant le fait
qu’il pratique et enseigne la permaculture depuis près de 30 ans. Mais il
souligne justement qu’il n’est plus si extrémiste qu’il a pu l’être. Si la
conversation est intéressante, je ne suis pas sure qu’il y ait quelque chose
ici pour moi. D’autant que les membres n’ont aucun droit de regard sur les
nouveaux acheteurs du village et que se multiplient les résidences secondaires
et habitants n’ayant pas d’intérêt pour la permaculture, au détriment du jardin
communautaire, qui dépérit.
Mais alors que nous revenons le lendemain pour voir le
marché, fameux dans la région, en compagnie de Brett et de Jessica, volontaire
américaine à Bellbunya, je découvre sur le panneau des petites annonces une
demande d’aide pour trois jours, dans une propriété en permaculture. Or il me
reste exactement une semaine à passer à Bellbunya avant de filer vers le Sud,
Brisbane, puis mon prochain spot de wwoofing. Le weekend sera émaillé de
tentatives de contacter l’hôte, Kaelana, qui, comme je le découvre en en
discutant avec Joan, a vécu un temps à Bellbunya et sera donc surement encline
à m’accueillir. Et en effet, lorsque je parviens enfin à la joindre, sa réponse
est positive! Je débarque donc le mercredi suivant, quittant Bellbunya en
prenant le chemin des écoliers pour profiter de l’incroyable vue qu’offre le
trajet.
Comme je ne vais pas tarder à le découvrir, Kaelana est
complètement perchée. Pratiquant le tapping, ou EFT (
Emotionnal Freedom Technique, une technique de psychothérapie alternative), elle est aussi fondue de
méditation, de soins par les cristaux et de tout un tas de pratiques new age
qui sont clairement trop pour moi. Elle parle notamment à sa nourriture et aux
graines qu’elle met à germer, leur disant qu’elle les aime et les remerciant,
et m’assurant avec aplomb qu’elle a remarqué que la germination était plus
effective ainsi. Heu, ok, très bien. Et le fait d’écrire « I love you –
Thank you » sur les carafes filtrantes ça aide à purifier l’eau
alors ? Mon scepticisme est à son maximum mais j’essaie de ne pas laisser le
cynisme qui l’accompagne devenir trop flagrant car après tout, je ne suis là
que pour quelques jours, et je suis à Crystal Waters !
Ensemble nous allons désherber une partie de son jardin, ce
qui me permettra d’apprendre le nom de certaines herbes utiles en médecine ou
comme comestibles (et que si on remercie les mauvaises herbes au moment de les
arracher, elles viennent plus facilement, sisi). Nous allons aussi créer un
passage en utilisant des cartons de récupération pour étouffer les mauvaises
herbes, fertiliser les arbres fruitiers au compost, planter des aromatiques et
collecter les inflorescences de certaines mauvaises herbes pour empêcher leur propagation
et faire un thé de plantes qu’elle utilisera comme fertilisant. Je découvre
aussi, en pratique, l’usage des cochons d’inde comme tondeuse à gazon, dans une
cage ouverte au sol qu’on déplace régulièrement pour leur faire maintenir un
espace. Un travail qui me semble long et fastidieux.
J’y nourrirais aussi des perroquets, venus picorer dans ma
main des graines de tournesol, et ferais des miracles de cuisine, réinventant
perpétuellement le contenu d’un frigo d’un vide quasi abyssal, parvenant même à
créer un gâteau cru carottes râpées, miel et noix mixées que nous disposerons
joliment au centre d’une assiette tournesol avant de le partager pour
l’anniversaire de son fils, qui vit à des centaines de kilomètres de là.
Pendant ce temps elle médite, fait des sessions skype de tapping qui ressemble
beaucoup pour moi à des discussions matinées de psychologie hippie où on
s’auto-convainc et convainc l’autre en parlant de lâcher prise, de choisir la
joie, l’amour, la compassion etc. Et moi ? Moi je me ballade, je visite le
village, qui n’a de village que le nom car excepté la boulangerie, ouverte deux
jours par semaine, et les salles communes à l’entrée, le reste n’est que
maison. Pas de commerces, pas d’entreprises, si ce n’est le jour de marché. En
passant le jeudi chez Max acheter quelques-unes de ses merveilleuses bougies
100% naturelles qui embaument la cire d’abeille, je découvre qu’une conférence
à lieu le soir même dans une ville voisine sur la capacité des petites fermes à
survivre, et que certains membres de Crystal Waters, dont Dessa, seront
présents. Pas d’hésitation possible, je décide de m’y rendre, sans Kaelana qui
me dit avoir dépassé ce stade. C’est donc seule que je rejoins Maleny, un
adorable village niché au creux d’une colline, et retrouve, dans un de ses
cafés branchés, Dessa, donc, et trois autres membres de la communauté, dont une
sublime jeune femme que j’avais aperçu le jour du marché et que je n’avais pas
osé approcher.
Si la conférence n’est pas inintéressante, je garde un
souvenir plus ému de la nourriture que je commande (un incroyable pesto
betterave/feta notamment) et des échanges avec les personnes à ma table.
Melting pot culturel, notre groupe compte donc Stéphane, français ayant
travaillé dans l’hôtellerie de luxe et reconverti depuis 9 ans en producteur de
fromage, collecteur de graines et vendeurs de jeunes arbres, plus homme à tout
faire (« j’ai une tronçonneuse ») ; Dessa, brésilienne venue
tout exprès en Australie faire son stage d’études environnementales sur la
permaculture ; Roumi, espagnole arrivée presque par hasard il y a un peu
plus d’un an et travaillant depuis comme volontaire avec Robin Clayfield,
papesse new age de la permaculture, que je louperais car elle prépare en ce
moment une retraite de 3 jours sur le fait d’être femme ; et un jeune
américain timide qui travaille aussi avec Robin et qui restera en retrait toute
la soirée. Et moi, française voyageuse sur les traces d’un mode de vie plus
durable et qui trouve ses réponses dans les communautés et la permaculture.
Je quitterais Crystal Waters le lendemain après-midi,
mettant à profit l’invitation d’Iris, ma collègue de Kin Kin, à venir passer la
soirée chez elle sur ma route vers Brisbane. Mais avant, je fais un crochet par
la maison de Stéphane, qui m’a proposé de passer papoter un peu en français et goûter ses fromages. Stéphane n’est pas là, mais je commence à taper la discute
avec un gars du bâtiment construisant un studio tout à côté. Chaleureux et
blagueur, il me demande si je peux lui filer un coup de main parce qu’il est à
la bourre pour finir ce projet et, n’ayant rien de mieux à faire dans
l’immédiat et ne pouvant pas arriver trop tôt chez Iris, je suis mon instinct
et accepte. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, je me retrouve en
train de visser des lattes de parquet, puis de peindre le sol au rouleau, payée
en chocolat et en musique, ainsi que par la promesse que, s’il descend sur la
gold coast, il me contactera pour me donner une leçon de surf.
Et me revoilà sur la route, petit sourire aux lèvres, pour
aller rejoindre Iris à Buddina, banlieue moche de la gold coast, mais où un lit
confortable et un délicieux dîner m’attendent. Un dîner avec de la viande! Chose qui est devenue extrêmement rare dans mon quotidien ces derniers mois, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Au matin, après que j’ai déversé
sur son nouveau disque dur la somme des ressources en permaculture que j’ai
collectées auprès de mes différents précédents hôtes, iris me fait les honneurs
de son jardin, déjà très productif, et de ses projets, avant de m’emmener au
pas de charge faire le tour du marché voisin où je succombe à un incroyable gâteau
poire amande sans gluten qui ne sera pas de trop pour ce soir, car je suis
invitée à un anniversaire par mon hôte de couchsurfing !