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Une frenchie à la découverte de l'autre bout du monde, partie voir là-bas si j'y étais.

lundi 26 novembre 2012

Quand vient l'éclipse

Lundi 12 novembre
Alors que le jour de l'éclipse s'approche, je n'ai toujours aucune réponse claire d'Allister, qui maintenant ne semble même pas sur d'aller lui-même à Yarrabah, la communauté aborigène. On est donc passés de "on va y aller ensemble ça sera super" à "Je peux surement trouver quelqu'un pour t'y emmener" à "je crois que je vais la regarder depuis la plage ici, tu devrais peut-être voir par toi-même comment t'y rendre". Bien bien bien, ce n'est pas comme si la première fois qu'on s'est rencontrés je lui avais très clairement demandé ce que je ferais si je venais chez lui (travailler au jardin, avec lui dans le réseau et pour préparer le rassemblement, normalement) et s'il était possible de se rendre dans la communauté pour l'éclipse.

Jez, manifestement plus fiable qu'Allister, est venu à ma rescousse quand j'ai commencé à me noyer dans les potentiels bus pouvant mener à la communauté et devant le manque d'information données par le site du rassemblement des sages. Après avoir passé une bonne partie de la matinée à appeler des loueurs de voitures et de van pour savoir s'il leur restait quelque chose (et pour découvrir par là même que tout est booké pour l'éclipse et le festival qui a lieu dans les Tablelands, mais genre TOUT), Jez fini par appeler Robert, du Real Food Network, un des seuls avec qui il ait gardé de bons contacts. Et là patatra! J'apprend qu'il n' a aucun moyen pour moi d'aller au rassemblement car les entrées sont sur invitation et que la seule façon de se faire inviter est d'avoir aidé à l'organisation et à la préparation. Au passage, Allister n'est pas non plus invité, car il n'a pas levé le petit doigt pour aider ces dernières semaines. Frustration, colère, je me laisse aller à dire à Jez que j'aurais aussi bien pu rester chez Nadine et Sarah à ce compte là, parce que si je suis venue c'est principalement pour voir l'éclipse dans la communauté et pour bosser avec lui, et vu qu'on ne fait presque rien au jardin... S'ensuit une bonne grosse engueulade car, comme me le fait comprendre Jez, lui n'a rien à voir avec ma venue et n'aurait même pas du se charger de moi, vu que c'est Sjoerd que j'avais démarché et que celui-ci s'est déchargé sur Allister, qui s'est déchargé sur son coloc.

Malaise. On arrive à calmer le jeu et à discuter plus en détails et je me rend compte alors du merdier dans lequel j'ai foutu les pieds : Allister et Jez sont associés dans cette histoire de jardin potager avec une autre personne, a qui appartient le terrain et qui leur a promis monts et merveilles au début, pour tomber ensuite malade et ne rien pouvoir tenir de ses promesses et projets. Ce n'est pas de sa faute mais c'est un premier paramètre. De son côté, Allister, qui devait aider 2 jours par semaine au jardin, fait tout sauf ça et est, comme j'ai pu le remarquer, plutôt non fiable. Ajoutez à cela le fait que Jez a de gros soucis de santé qui l’empêchent de conduire et de travailler mais n'est pas pour autant reconnu comme invalide donc n'a pas le droit à une pension. Paramètre important, ce défaut de pension fait qu'il n'a pas les moyens de construire et d'améliorer ce jardin (déjà impressionnant de productivité pour un ouvrage qui n'a que quelques mois). Ça commence à vous donner une idée de l'étendue de sa démotivation. Encore une petite couche? Il est en instance de divorce avec sa femme qui ne le laisse ni voir ni parler à son fils de 3 ans, femme dont les sentiments ont changé du tout au tout quand elle a arrêté la pilule (aahhh la magie des hormones) et du fait de sa grossesse difficile. Bref, j'en passe parce qu'il y a trop d'histoires à raconter, mais la vie est une sacré salope avec Jez et je n'arrive pas au meilleur de son envie de partager ce qu'il sait de l'agriculture.

Il s'engage néanmoins à ce qu'on bosse sur des choses qui m'intéressent, à me fournir en livres, en documentaires, toutes ressources utiles et contacts pour la suite de mon voyage, dans la mesure de sa motivation. Et puis nous partageons un gout prononcé pour la musique, ce qui fait que les temps creux sont tout de même agréablement meublés d'heures d'écoutes de bonne musique et d'essais musicaux divers. Je décide donc de rester tout de même, et qu'on aille voir l'éclipse de la plage, puisqu'il est difficile de faire autrement.

Le jour J, mercredi, réveil à l'aube pour se rendre sur Holloway Beach, un tout petit peu au Nord de Machans, qui devrait être plus calme. On traverse pour ça un bras de rivière qui pour l'instant nous monte au genou mais va grossir avec la marée. On se trouve un bout de plage déserte, on se met en position et on attend que le soleil se lève. Ce qu'il ne tarde pas à faire, pour aller directement se planquer derrière les nuages. Et alors que l'éclipse est censée commencer, une petite pluie fine nous tombe dessus.





Une éclaircie nous permet d’apercevoir les premiers moments du passage de la lune devant le soleil, et mes lunettes sont assez bonnes pour que je puisse prendre des photos au travers. Ce n'est malheureusement pas le cas de celles de Jez (je vous ai déjà dit que ce mec était maudit?) et je le force à ce que nous échangions régulièrement, pour qu'il puisse voir un peu la progression du phénomène.


  
Et puis, de nouveau, de gros nuages masquent le soleil, et on commence à désespérer de voir la totalité. On décide donc de retraverser le bras de mer et de se rapprocher de la maison. Sauf que l'eau monte maintenant en haut des cuisses. Heureusement, prévoyante, je me suis mise en maillot sous mon pantalon, et, même s'il caille, je préfère être les cuisses nues qu'en pantalon trempé. On poireaute un peu de l'autre côté, hésitant sur la conduite à suivre, mais j'arrive à le convaincre de rester. Et je fais bien, car juste avant la totalité, le ciel se dégage un peu. Le soleil n'est alors plus qu'un croissant et la lumière autour de nous change de façon vertigineuse. Ça ne ressemble en rien aux lueurs de l'aube ou du crépuscule, c'est à la fois bien plus étrange et plus impressionnant que ça. Cette lumière qui magnifie les contrastes a quelque chose de profondément anormal, comme si du fond de mon cerveau reptilien, un ancien sens me disait "quelque chose ne va pas".





Photo de Jez
Et soudain, une vague d'ombre se dirige sur nous et nous enveloppe. Caché par la lune, le soleil n'irradie plus que sa couronne, d'un blanc lumineux qui ne nécessite plus le port des lunettes. Dans le ciel, une étoile brille, et l'horizon est bleu et rouge. Une immense exclamation secoue la plage et je me rend compte que je crie moi aussi, transportée, à la fois surexcitée et un peu angoissée, de cette angoisse primale qui te fait te dire "le soleil va-t-il revenir????". Excitée comme une gamine je rigole, bats des mains, souris aux anges et à la couronne solaire, là haut. Une photo, une seule, et puis j'arrête de regarder le monde à travers mon objectif et me remplit de ce moment.


Mais rapidement un petit nuage mutin vient se placer très exactement entre le soleil et nous. Nouvelle exclamation, de dépit cette fois, et nous restons tous là, le nez en l'air, à prier pour qu'il s'éloigne. L'intensité de la concentration des gens autour de moi est si forte qu'elle en est palpable.

L'éclipse qui disparaît derrière cette saleté de nuage!
Et puis, juste alors que la totalité de l’éclipse va s'achever, le soleil en gloire sort de derrière le nuage, et nous offre une dernière seconde de couronne solaire avant qu'un rayon perce et nous éblouisse, marquant le début de la phase de découverture. Une nouvelle fois nous hurlons tous ensemble, et je suis finalement contente d'être là, à partager cette expérience avec des gens que je ne connais pas, mais qui sont, dans cet instant, mes frères et soeurs en émerveillement.


Regarder une éclipse totale depuis son balcon... il y a pire.

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