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Une frenchie à la découverte de l'autre bout du monde, partie voir là-bas si j'y étais.

mercredi 7 novembre 2012

C’est beau un feu, la nuit – partie 1

Ahh l’australie, ses grands espaces quasi vierges de présence humaine, sa faune et sa flore si dépaysantes, ses couleurs, ses feux de forêt…

Je crois que mes hôtes actuelles vont devoir actualiser leur entrée dans le wwoof book et ajouter «be prepared for and experiment a real bush fire ». Car oui, nous avons eu à gérer un feu dans le bush. Que ceux qui commencent à s’inquiéter se rassurent tout de suite, je vais très bien, mes hôtes aussi et la propriété n’a rien. On a juste eu une grosse frayeur, mais le feu a finalement été maîtrisé et détourné.

Ça commence dimanche en fin d’après-midi, alors que je désherbe le potager avec Sarah. Alors que nous avons presque fini elle me fait remarquer une colonne de fumée. Ayant vu un de leurs lointains voisins faire brûler son champ (pratique culturale apparemment courante dans le coin) un peu plus tôt dans la journée, je lui dis que c’est surement ça. Très bien. Mais ce n’est pas la bonne direction.

Nadine, qui s’apprêtait à faire un tour avec les chiens, va donc voir en voiture et revient nous prévenir qu’effectivement, ça brûle un peu plus haut sur la colline, mais c’est pour l’instant très loin, il n’y a pas de raison particulière de s’inquiéter (ah bon ?). Elle alerte tout de même la brigade anti-feu du coin et passe un certain nombre de coup de fils. Ayant été la première à le reporter, c’est un peu devenu « son feu » et elle est excitée comme une gamine. Moi, pour l’instant, je ne réalise pas vraiment.

Première vision, de nuit
Après le repas, que mes hôtes agrémentent d’histoires de leurs précédentes luttes contre le feu, on va voir de plus près de le front. Enfin de plus près, à plusieurs kilomètres de distance tout de même. Mais ça reste impressionnant. Au départ, j’aperçois seulement une lueur rouge à l’horizon, qui pourrait être le soleil couchant, si on se dirigeait vers l’Ouest. Et puis au détour d’un virage, le front apparait entre les arbres. Il doit déjà couvrir plusieurs kilomètres, mais Sarah et Nadine semblent très détendues, tout comme un voisin que nous croisons alors qu’il revient de la rivière où il est allé faire le plein d’eau « au cas où ». Moi, comme je leur annonce, ça y est, je suis « officiellement effrayée ». 

De ce que je comprends, le feu brûle en descendant la montagne, ce qui fait qu’il avance très doucement et qu’il n’y a aucune raison de s’affoler, il ne nous touchera pas de ce soir. Sarah et Nadine discutent d’ailleurs âprement pour savoir si Nadine doit aller travailler ou pas demain et si elle aura le temps de revenir en cas d’urgence car Sarah a déjà du dealer seule avec le dernier feu, à coup de serviettes humides et de rateau, et ne veut pas recommencer. On va se coucher sur la promesse que Nadine ira jeter un œil demain matin, et qu’en fonction de la situation, elle avisera.

Au matin, ça s’est manifestement corsé, car Nadine me prévient que quelque chose va arriver aujourd’hui, même si on n’en connait pas encore l’ampleur. On commence donc à s’organiser en fonction, en ratissant les firebreaks, en déplacant les morceaux de bois morts pour ne pas les laisser entre le possible trajet du feu et la maison, en remplissant des baquets d’eau et y plaçant des serviettes…  Vers 10h-10h30, elles enfilent leurs tenues, détendues, et vont rejoindre le reste des volontaires du comté, pour voir ça de plus près et prendre les mesures nécessaires. Quant à moi, je dois rester à la maison, garder un œil sur la fumée et faire régulièrement le tour de la propriété pour m’assure que le feu ne nous prend pas par surprise. En cas de flammes, il me « suffit » d’appeler le 000 et de donner leur adresse pour que je sois mise en relation avec elles par liaison radio. Et elles arriveront immédiatement avec les camions pompes. Mais il n’y a aucune raison que cela arrive. Et sur ces mots, les voilà parties.

Les heures qui vont suivre seront très étranges. Je n’ai pas grand-chose d’autre à faire que de continuer à ratisser les firebreaks, et finis par me poser avec un bouquin, car je n’ose pas prendre le risque de m’immerger dans un film et de ne pas être assez attentive à la progression de la fumée. Les camions pompes commencent à venir s’alimenter en eau à la mare qui jouxte la maison, et au départ, tout le monde est hyper détendu et rigole. 
Mais au fur et à mesure que les heures passent et que les camions reviennent faire le plein, les visages se tendent. Rougis par la chaleur du feu, ils se couvrent de marques de suie, et l’ambiance n’est plus à la plaisanterie.

Lors d’une de mes rondes je réalise que la colonne de fumée s’est transformée en rideau de fumée grasse qui, vu la façon dont il bouillonne à la base, ne doit plus être bien loin, juste de l’autre côté du sommet de la colline. Soit à quelques centaines de mètres. C’est à ce moment que je me dis « Ok, cette fois il arrive », mais je sais qu’il faut que j’attende de voir les flammes pour appeler et que la dernière chose dont les volontaires qui combattent le feu ont besoin, c’est de quelqu’un de paniqué qui donne l’alarme trop tôt. 

Alors que les minutes s’étirent, je n’y tiens plus et vais jeter un œil de l’autre côté de la colline, très précautionneusement.
 Ce que j’aperçois alors, même si l’étendue touchée me secoue, est plutôt rassurant : les longues herbes ont été coupées sur une bande de plusieurs mètres de largueur qui semble efficacement couper la route au feu. De chaque côté, près de la forêt et près d’une maison et de son hangar, des véhicules et des silhouettes s’agitent. La situation semble sous contrôle. J'apprendrais ensuite que le hangar en question est plein de carburants et que c'était en fait le pic de panique ce moment là. 

A peine redescendue à la maison, j’ai pourtant droit à une seconde secousse quand Warren, un des volontaires venu recharger son camion me dit rapidement que le feu est difficile à contenir et qu’il se dirige vers la propriété. Il me conseille de lancer les arroseurs automatiques, ouvrir les grilles de la propriété si elles sont fermées à clés et me préparer à évacuer en voiture si on m’en donne l’ordre. No way ! Je ne vais nulle part sans Nadine et Sarah qui m’ont plutôt conseillé de m’enfermer dans la maison au cas où les flammes seraient vraiment trop proches. Je n’ai heureusement pas à prendre de décision car de nombreux autres camions arrivent, dont ceux contenant mes hôtes, et prennent position autour de la maison.

« Ca va ? » lance-je à Sarah qui a l’air secouée. « Pas vraiment » me répond-elle laconiquement avant de se tourner vers Nadine et lui demander, avec dans la voix une fêlure qui laisse sentir l'angoisse « Qu’est-ce qu’on peut faire ?? ». Rien, apparemment, si ce n’est attendre le reste de la brigade. Mais les derniers arrivés sont porteurs de meilleures nouvelles. Il semble que le vent emporte le front plus loin et qu’il est en train de contourner la maison. Me sentant complètement inutile, j’arrive à attraper Sarah au passage, lors d’un de ses nombreux aller-retour angoissés qui commencent à sembler vides de sens. 
La mission qu’elle me confie ? Préparer un casse-croute pour les volontaires. Bon. Il n’y a pas de honte à être celle qui nourrit les braves. Et vu l’accueil qui est réservé à mes sandwichs par tous les combattants du feu à portée autour de la maison, l’idée n’était pas mauvaise. Il faut dire qu’il doit être près de 15h et que ça fait donc 5h qu’ils sont au front.

Ils repartent rapidement et je me retrouve de nouveau seule à tourner autour de la maison, tout danger immédiat écarté. Alors que la fumée se fait moins dense, je retourne voir de l’autre côté de la colline. Le ciel tout à l’heure bouché s’est éclairci, et la vue est impressionnante. De l’autre côté de la ligne de front, imprimée en noir calciné sur le jaune de l’herbe sèche, s’étend un tapis couleur suie duquel émergent les squelettes des arbres suppliciés. Au-dessus de cette dévastation planent rapaces et charognards, venus festoyer des rongeurs et rampants qui n’ont pas échappé aux flammes. Warren et Sarah m’aperçoivent, à bord de leur 4x4, et m’attrapent au passage pour une « visite guidée » du sinistre. Ils plaisantent, manifestement apaisés, et nous allons voir la ligne de front, roulant au passage dans l’herbe rase qui flambe toujours sous nos pneus. 




Nadine, elle, est partie aider la brigade qui défend maintenant le bourg de Koah, mais la situation semble quasi maîtrisée  Nous allons également voir les champs de leurs voisins, qui ont été pris entre le feu et le backburn, ces feux contrôlés qu’on allume pour barrer la route au feu sauvage. Une des voisines manifestement exténuée continue à maintenir les flammèches en dehors de sa propriété à coup de serviette mouillée et ça brûle encore bien le long de la rivière, mais plus personne ne semble s’en alarmer parmi les volontaires. C’est donc à ça que ressemble un feu « maîtrisé » ? En tout cas, nous rentrons à la maison, et avons une soirée presque normale, même si nous allons jeter un oeil en voiture pour s'assurer que le feu est toujours sous contrôle. Alors que je me suis sentie profondément inutile toute au long de la journée, Nadine me réconcilie avec les évènements en me remerciant du fond du coeur d'avoir si bien géré la situation d'urgence et d'avoir "tenu le fort", ce qui leur a permis de combattre le feu sans inquiétude pour leur maison.
Heu, ben merci à vous d'avoir maintenu le feu à distance surtout hein...







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