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Une frenchie à la découverte de l'autre bout du monde, partie voir là-bas si j'y étais.

mardi 19 mars 2013

Bellbunya 2- jardinage extrême

Ce post se lit en parallèle du précédent sur la vie dans la communauté.


Assez vite, je m’aperçois de trois choses :
-        -   la méthode de jardinage qui est employée ici, bien que bio, est tout sauf « soutenable », s’appuyant principalement sur des apports de fertilisants, paille et terreau extérieurs, ce qui me fait tiquer car c’est l’inverse que je cherche à apprendre.
-         -  Je ne m’entends pas avec Karl, le jardinier. Ce n’est pas qu’on ne s’entend pas « bien », juste qu’il ne communique pas. Du tout. Que quand il veut que tu fasses quelque chose il parle toujours pas ellipses ou suggestions, ne donne pas de réponses claires à mes questions… Du coup j’arrête assez vite d’en poser et ronge mon frein.
-        -   Joan, et la communauté dans son ensemble du coup, compte sur moi pour m’occuper du jardin pendant que Karl va prendre deux semaines pour aller voir ailleurs s’il ne s’y sentirait pas mieux. Deux semaines qui commencent mardi prochain. Oui, on est vendredi. Voilà. Je n’y connais rien en jardin potager ? C’est pas grave, je suis là depuis deux jours et il m’en reste trois pour comprendre comment marche ce jardin-là, maitriser son fonctionnement et poursuivre les plantations, afin qu’on puisse continuer à nourrir correctement la moyenne de 20-25 personnes qui vit ici en permanence. Timing parfait, effectivement.

Mes premières réactions, de panique et de colère, font assez rapidement place à une sorte de griserie à me dire « youhouuuu, je suis la responsable du jaaaardiiinnnn, je peux faire ce que je veuuuxxxx ! ». Pendant les trois jours qu’il nous reste ensemble, je bombarde Karl de questions sur ce qu’il faut faire, les fréquences d’arrosage (ici c’est sécheresse depuis 6 mois, arroser est LA tâche vitale) ; que planter ensuite ? où ? quels plants peuvent être arrachés ? qu’est ce qui doit être récolté ? quand ? Je note, note, note et quand il part, je suis fin prête. Et ce jour là… il pleut ! Premier jour de la saison des pluies. AHAH. Mais ça ne reste qu’une petite pluie, alors on arrose tout de même et on commence les gros chantiers que Karl m’a confié et que, étrangement, il n’a pas jugé bon de commencer pendant qu’on était trois au jardin. Se débarrasser de toutes les vignes de citrouilles après avoir récolté les fruits, aérer le sol à la fourche, l’amender, le recouvrir de paille fraîche, faire de même avec les courgettes… cette journée sera longue.

Le lendemain, il pleut comme vache qui pisse. Donc pour arroser hein, bah ça devrait aller. Par contre, vu la quantité de flotte qui tombe, on me signale que les tomates risquent de gonfler et de se fendre, donc que ce serait une bonne idée de les ramasser. Même les vertes ? Personne ne sait, je fais deux à trois fois le tour des personnes qui potentiellement seraient à même de me répondre, personne ne veut prendre de décision, je finis par passer tout de même plusieurs heures au jardin, plusieurs jours de suite, avec les filles, à récolter des saladiers pour 20 personnes de tomates, de poivrons presque mûrs, de concombres, tout ce qui est potentiellement mangeable ou murissable en intérieur.

Je me bats pour comprendre ce que la responsable de l’organisation cuisine veut que je fasse de ces satanées tomates vertes, qui doivent être laissées à la lumière. « Oui mais pas ici parce que c’est à portée des enfants, pas là parce que les cafards peuvent les trouver, pas là parce que c’est dans le noir. Oh ben je sais pas alors ». Moi non plus je ne sais pas Rose, et je veux bien les mettre où tu veux les tomates, mais tu me trouves un endroit. Point.

Je ressors dans la tempête, car le vent s’est levé et j’essaye de tuteurer et de soutenir les plants, les arbustes, avec le peu de tuteurs qu’on a de disponibles. Trempée jusqu’aux os, les filles pas bien plus vaillantes que moi, même si elles ne subissent ça que 3h par jour, j’essaye de maintenir le jardin contre le changement de saison. Bataille perdue d’avance.

Après 5 jours de pluie diluvienne, le ciel s’éclaircit enfin et un tour dans le jardin me ravage complètement le moral. Les haricots ont été brûlés par le vent, le maïs tout entier est par terre, ainsi que les artichauts de jérusalem, les plants de tomates ont été secoués jusqu’à casser, tout comme les poivrons. Les courgettes, courges, melons et concombres pourrissent sur pieds. Les passages sont défoncés, certains lits de semences se sont effondrés.  Ça sent la mort dans le jardin, la pourriture en progrès, les insectes ravageurs sont partout, des tâches de maladies émaillent les feuilles… J’en pleurerais.

Sous le soleil revenu, grâce à Karston, qui semble être le seul à comprendre l’importance du jardin pour nourrir la communauté et arrête de rénover la maison principale pour me tailler des dizaines de tuteurs, j’entreprends patiemment de remonter ce qui peut l’être. Je taille les tomates, arrache les courgettes, ébranche les poivrons, ramasse le basilic, collecte ce qui peut être mangeable, jette aux poules ou au compost ce qui est pourrissant, remonte les papayers, le maïs, le tout en leur parlant, comme à de petits enfants qui auraient eu une grosse frayeur, et en leur disant qu’on va bien prendre soin d’eux, que ça va aller, qu’ils vont s’en sortir. Je ne sais pas d’où me viennent ces mots et ces sons d’apaisement, mais je laisse couler, ça me fait surtout du bien à moi, d’extérioriser, de me sentir utile. Avec l’aide de Stefanie, qui est bien plus costaude que moi, on soutient les bananiers, dont deux ont craqué sous le poids de leur régime secoué par la tempête et doivent être abattus à la machette… Seuls les oignons nouveaux, les pieds encore dans l’eau, semblent contents comme jamais. Eux qui avaient l’air de peiner quand on ne faisait que les arroser deux fois par semaine. Je fais de mon mieux, avec mes faibles connaissances, espérant faire ce qu’il faut, et que Karl saura gérer la suite quand il reviendra. Chris, Line, Karston, Stéfanie, Brett, qui voient mon désarroi et à quel point je prends tout ça à cœur, tâchent de me remonter le moral, mais ça reste un coup dur. Même si je découvrirais plus tard auprès d’autres hôte que, lors de cette même tempête, ils ont perdu la quasi-totalité de leurs plantes. Au final, ce sera une leçon en soi : lorsque vient le changement de saison, il faut savoir lâcher prise et accepter de perdre les derniers légumes de la saison sèche.

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