Ce post se lit en parallèle du précédent sur la vie dans la communauté.
Assez vite, je m’aperçois de trois choses :
- - la méthode de jardinage qui est employée ici,
bien que bio, est tout sauf « soutenable », s’appuyant principalement
sur des apports de fertilisants, paille et terreau extérieurs, ce qui me fait
tiquer car c’est l’inverse que je cherche à apprendre.
- - Je ne m’entends pas avec Karl, le jardinier. Ce
n’est pas qu’on ne s’entend pas « bien », juste qu’il ne communique
pas. Du tout. Que quand il veut que tu fasses quelque chose il parle toujours
pas ellipses ou suggestions, ne donne pas de réponses claires à mes questions…
Du coup j’arrête assez vite d’en poser et ronge mon frein.
- - Joan, et la communauté dans son ensemble du
coup, compte sur moi pour m’occuper du jardin pendant que Karl va prendre deux
semaines pour aller voir ailleurs s’il ne s’y sentirait pas mieux. Deux
semaines qui commencent mardi prochain. Oui, on est vendredi. Voilà. Je n’y
connais rien en jardin potager ? C’est pas grave, je suis là depuis deux
jours et il m’en reste trois pour comprendre comment marche ce jardin-là,
maitriser son fonctionnement et poursuivre les plantations, afin qu’on puisse
continuer à nourrir correctement la moyenne de 20-25 personnes qui vit ici en
permanence. Timing parfait, effectivement.
Mes premières réactions, de panique et de colère, font assez
rapidement place à une sorte de griserie à me dire « youhouuuu, je suis la
responsable du jaaaardiiinnnn, je peux faire ce que je veuuuxxxx ! ».
Pendant les trois jours qu’il nous reste ensemble, je bombarde Karl de
questions sur ce qu’il faut faire, les fréquences d’arrosage (ici c’est
sécheresse depuis 6 mois, arroser est LA tâche vitale) ; que planter
ensuite ? où ? quels plants peuvent être arrachés ? qu’est ce
qui doit être récolté ? quand ? Je note, note, note et quand il part,
je suis fin prête. Et ce jour là… il pleut ! Premier jour de la saison des
pluies. AHAH. Mais ça ne reste qu’une petite pluie, alors on arrose tout de
même et on commence les gros chantiers que Karl m’a confié et que, étrangement,
il n’a pas jugé bon de commencer pendant qu’on était trois au jardin. Se
débarrasser de toutes les vignes de citrouilles après avoir récolté les fruits,
aérer le sol à la fourche, l’amender, le recouvrir de paille fraîche, faire de
même avec les courgettes… cette journée sera longue.
Le lendemain, il pleut comme vache qui pisse. Donc pour
arroser hein, bah ça devrait aller. Par contre, vu la quantité de flotte qui
tombe, on me signale que les tomates risquent de gonfler et de se fendre, donc
que ce serait une bonne idée de les ramasser. Même les vertes ? Personne
ne sait, je fais deux à trois fois le tour des personnes qui potentiellement
seraient à même de me répondre, personne ne veut prendre de décision, je finis
par passer tout de même plusieurs heures au jardin, plusieurs jours de suite,
avec les filles, à récolter des saladiers pour 20 personnes de tomates, de
poivrons presque mûrs, de concombres, tout ce qui est potentiellement mangeable
ou murissable en intérieur.
Je me bats pour comprendre ce que la responsable de
l’organisation cuisine veut que je fasse de ces satanées tomates vertes, qui
doivent être laissées à la lumière. « Oui mais pas ici parce que c’est à
portée des enfants, pas là parce que les cafards peuvent les trouver, pas là
parce que c’est dans le noir. Oh ben je sais pas alors ». Moi non plus je
ne sais pas Rose, et je veux bien les mettre où tu veux les tomates, mais tu me
trouves un endroit. Point.
Je ressors dans la tempête, car le vent s’est levé et
j’essaye de tuteurer et de soutenir les plants, les arbustes, avec le peu de
tuteurs qu’on a de disponibles. Trempée jusqu’aux os, les filles pas bien plus vaillantes
que moi, même si elles ne subissent ça que 3h par jour, j’essaye de maintenir
le jardin contre le changement de saison. Bataille perdue d’avance.
Après 5 jours de pluie diluvienne, le ciel s’éclaircit enfin
et un tour dans le jardin me ravage complètement le moral. Les haricots ont été
brûlés par le vent, le maïs tout entier est par terre, ainsi que les artichauts
de jérusalem, les plants de tomates ont été secoués jusqu’à casser, tout comme
les poivrons. Les courgettes, courges, melons et concombres pourrissent sur
pieds. Les passages sont défoncés, certains lits de semences se sont effondrés.
Ça sent la mort dans le jardin, la
pourriture en progrès, les insectes ravageurs sont partout, des tâches de
maladies émaillent les feuilles… J’en pleurerais.
Sous le soleil revenu, grâce à Karston, qui semble être le
seul à comprendre l’importance du jardin pour nourrir la communauté et arrête
de rénover la maison principale pour me tailler des dizaines de tuteurs,
j’entreprends patiemment de remonter ce qui peut l’être. Je taille les tomates,
arrache les courgettes, ébranche les poivrons, ramasse le basilic, collecte ce
qui peut être mangeable, jette aux poules ou au compost ce qui est pourrissant,
remonte les papayers, le maïs, le tout en leur parlant, comme à de petits
enfants qui auraient eu une grosse frayeur, et en leur disant qu’on va bien
prendre soin d’eux, que ça va aller, qu’ils vont s’en sortir. Je ne sais pas
d’où me viennent ces mots et ces sons d’apaisement, mais je laisse couler, ça
me fait surtout du bien à moi, d’extérioriser, de me sentir utile. Avec l’aide
de Stefanie, qui est bien plus costaude que moi, on soutient les bananiers,
dont deux ont craqué sous le poids de leur régime secoué par la tempête et
doivent être abattus à la machette… Seuls les oignons nouveaux, les pieds
encore dans l’eau, semblent contents comme jamais. Eux qui avaient l’air de
peiner quand on ne faisait que les arroser deux fois par semaine. Je fais de
mon mieux, avec mes faibles connaissances, espérant faire ce qu’il faut, et que
Karl saura gérer la suite quand il reviendra. Chris, Line, Karston, Stéfanie,
Brett, qui voient mon désarroi et à quel point je prends tout ça à cœur,
tâchent de me remonter le moral, mais ça reste un coup dur. Même si je
découvrirais plus tard auprès d’autres hôte que, lors de cette même tempête,
ils ont perdu la quasi-totalité de leurs plantes. Au final, ce sera une leçon
en soi : lorsque vient le changement de saison, il faut savoir lâcher
prise et accepter de perdre les derniers légumes de la saison sèche.
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