Du fait de la double dimension de ce que j'ai vécu à Bellbunya, ce post et le suivant ont été vécus en parallèle. Et comme la connexion internet ici est plutôt légère, vous trouverez les photos ici.
Quand j’ai envoyé ma flopée de demande, début janvier, Joan,
de Bellbunya Community, a été la deuxième à me répondre, en me disant qu’ils
avaient une disponibilité pour un volontaire temps plein (6h par jour) au
jardin à partir du 16 janvier, ce qui me convenait parfaitement. Timing
parfait, une fois encore (à ce moment, je n’ai toujours pas appris à me méfier
du « timing parfait » ^^). J’arrive donc comme une fleur en début
d’après-midi, sans bien trop savoir où aller car il y a un certain nombre de
bâtiments. Je hèle un homme travaillant à reconstruire l’un d’eux, et il me
mène jusqu’à Joan. Visite des lieux, découverte de la salle à manger, de la
cuisine commune et de son lot de règles et de tours de vaisselle et cuisine, du
« café internet » (une pièce avec un modem et trois câbles ethernet),
de la chambre que je partagerais (mais qui possède, luxe, sa propre salle de
bain et ses toilettes) dans le bâtiment commun… Et en parallèle, présentation à
toutes les personnes que nous croisons, membres ou volontaires comme moi, qui,
toutes sans exception, buttent sur mon prénom, pendant que j’essaye
désespérément de stocker toutes ces informations dans ma mémoire. Un peu
étourdie, je transfère mes affaires dans ma chambre, m’installe, vais faire un
tour du jardin, et très vite il est déjà l’heure du dîner. Ici on mange à 18h30,
comme les poules, qu’il faut d’ailleurs enfermer avant le dîner.
Part importante de la vie de la communauté, le diner n’est
pas optionnel. De toute façon, la plupart des membres de la communauté n’ont
pas de cuisine (ni de salle de bain d’ailleurs) et ne « possèdent »
guère que leur chambre. Une cloche 15 minutes avant, pour annoncer que c’est
bientôt près, une seconde, accompagnée du pouet pouet d’une trompe de voiture,
au moment où on va servir. La cuisine étant centrale, les habitants affluent de
tous les points alentours et se retrouvent dans la grande pièce où le dîner est
servi, pour un moment tous ensemble. Chacun donne la main à ses voisins, la
droite au-dessus, la gauche en dessous, et, suivant les volontaires chargés de
cuisiner, on ferme les yeux et on respire profondément, on chante une des
chansons favorites de la communauté, on prend un moment pour réfléchir à ce
pour quoi on est reconnaissant aujourd’hui, ce qui a illuminé notre journée...
Un « Ommm » collectif, et puis petites annonces, s’il y a. Ce
soir-là, c’est ma présentation, et les adieux à Marie, que je remplace au
jardin. Un tour de prénom, pour que chacun se présente, et je suis poussée vers
les plats « les derniers arrivés se servent en premier ! ». Un
peu mal à l’aise, je m’exécute et vais m’installer à une des deux longues
tables, sans trop bien savoir où me mettre. Les trois ou quatre personnes
suivantes s’installent à l’autre, à part. Mince, est-ce que j’ai fait une
erreur ? Et puis finalement certains s’attablent avec moi, chacun commence
à manger et les discussions s’enclenchent. A la fin du repas, chacun disparait
dans son coin et, un peu déboussolée encore, je rejoins ma chambre. Je commence
à 6h demain matin, il est 20h, le soleil est couché depuis 1h30 et je suis
claquée. Bon ben… au lit alors. Heureusement, les autres soirs, ce sera plutôt
jeux de cartes jusqu’à des 22h, méditation guidée par Carolyne, ou discussions
avec les autres wwoofers et certains des membres.
Rapidement un rythme s’installe. Levé tôt, de plus en plus
tôt même, pour pouvoir travailler un peu plus de deux heures avant d’être
terrassée de chaleur (vers 8h du matin… les joies de l’exposition plein Est),
j’entraîne bientôt dans mon rythme les filles qui bossent comme volontaire
temps partiel avec moi au jardin : Line et Stefanie, puis Isobel. Toujours
la première au jardin, un thé à la main, je profite des premières lueurs du
soleil et me sens spéciale, face à ce paysage incroyable qui émerge doucement
des brumes matinales comme j’émerge de celles du sommeil. Pour quelques
instants je suis une reine contemplant son royaume. Puis commence une des
parties peu agréables du travail : la patrouille insectes. Gants de
chirurgien sur les mains, je récolte les insectes prédateurs sur les
différentes plantes, et les écrase, entre les doigts ou sous mes chaussures.
C’est ce qu’on appelle du contrôle biologique, pas d’insecticide, juste de
l’extermination manuelle… En faisant le tour des cultures, je suis censée
déterminer lesquelles ont besoin d’eau et les indiquer à mes camarades, qui se
chargeront de commencer l’arrosage. L’autre avantage de commencer si tôt c’est
que je peux sans culpabilité arrêter à 10h pour reprendre à 15, quand le soleil
est passé de l’autre côté de la colline et que la chaleur tombe. Il y a
largement de quoi faire et je ne m’ennuie pas, passant mes heures libres à
siester, lire un peu plus sur la permaculture et papoter avec les membres et
volontaires. Avec tant de personnes (une vingtaine en permanence), il y a
toujours quelqu’un dispo pour discuter.
Les jours s’écoulent doucement, je m’attache à cet endroit,
à ces gens, je me fais des amis et refait le monde avec Fabio, l’italien arrivé
en Australie il y a 6 mois sans parler un mot d’anglais, Line, la suédoise,
venue ici pour une étude sociologique sur les communautés, Stefanie,
l’allemande, 22 ans, 2 ans de voyage derrière elle et de retour à Bellbunya ou
elle partage la même chambre que moi et passe ses dernières semaines avant le
retour au pays, dans le froid hiver germanique, Isobel, la New Yorkaise, a sa place
ici comme un chat de race au milieu de chats de gouttière, venue au départ pour
2 semaines sur ces 4 d’Australie et qu’on poussera gentiment à voyager et
profiter, plutôt que de « perdre son temps de visite » ici, à
wwoofer. Et puis Joan, minée lentement par l’ostéoporose, Brett, qui a gardé
son accent américain en quittant Hawaï et s’est installé ici dans une minuscule
chambrette de terre-paille où il se consacre à l’étude du massage, après avoir
possédé une immense baraque avec « tout le confort moderne », Karston
et Karston, qui viennent tous deux du Danemark, ne se connaissaient pas, et ont
décidés, chacun de leur côté, d’intégrer cette communauté, l’un pour en
construire les bâtiments, l’autre pour en bâtir la dynamique, Chris, soigneur,
d’humains et de poules, attrapeur de python, qui me prendra dans ses bras pour
me dire tout doucement « tu as fait tout ce que tu pouvais » quand la
tempête ravagera le jardin, Jade, insaisissable elfe, masseuse à la douce
lumière, qui est si difficile d’accès et si fascinante… d’autres encore.
Si mon scepticisme à l’égard des communautés n’a pas
complètement disparu, faire partie de la vie de celle-ci, toute jeune encore,
et rencontrer toutes ces belles personnes m’a secouée très profondément. C’est
une famille qui vit ici, avec ses membres boiteux, ceux avec qui il est plus
difficile de s’entendre, ces décisions qui doivent être consensuelles et qui
prennent pour cela des heures et des semaines de discussion. Bien sûr, la
communauté est dans son enfance (4 ans qu’elle est créée) et n’est pas encore
fonctionnelle telle quelle. Elle se cherche encore, cherche le pourquoi de ce
vivre ensemble, l’intention derrière ça. Bien sur le poids de la dette à
rembourser pour l’achat de ce lieu avec toutes ces infrastructures pèse
beaucoup sur la tranquillité des esprits et fait prendre aux membres de
mauvaises décisions en termes de recrutement de nouveaux habitants et de
gestion des wwoofers (trop de volontaires, qui doivent soit payer 10€ pour leur
logement et nourriture malgré 3h de boulot quotidienne, soit travailler, comme
moi, 6h par jour). Et puis leur manque d’implication au jardin, qui pourtant
les nourrit jour après jour, me sidère. Mais même s’ils se cherchent encore, ces
gens rayonnent. Ils s’ouvrent à vous et vous remplissent d’amour, il y a
toujours quelqu’un pour vous demander ce que vous avez fait de votre journée,
si tout va bien, et pour vous écouter, vous écouter vraiment.
Alors à mon dernier repas du soir, je fais un tour du cercle
de toutes ces belles personnes et les remercie de ces deux semaines où j’ai,
simplement, été heureuse, malgré le temps et les soucis au jardin. Je leur dit
aussi que je regrette de ne pas avoir eu le temps de parler, de me connecter à
certains d’entre eux, et puis nous rompons le cercle, pour un dîner qui sera
bien morose. Stefanie quitte la table à peine son assiette finie et je la
retrouve effondrée sur un canapé, les yeux brillants de larmes. Je prends dans
mes bras cette grande saucisse d’1m80 et elle pleure contre mon épaule, tandis
que je lui caresse les cheveux et lui assure, comme je l’ai dit à tant d’entre
vous, que je ne disparais pas, que je continue juste mon voyage, que j’en ai
besoin, mais que ça ne change rien au fait que nous sommes amies, et qu’il ne
tient qu’à nous de faire vivre cette amitié.
C’est la gorge serrée d’émotion que je me dirige vers mon
van, même si je ne regrette pas de partir car en termes de jardinage pur, je
n’apprends pas assez ici. Et puis j’ai une belle opportunité qui m’attend, une
des pionnières de la permaculture a accepté de me faire travailler quelques
jours…
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