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Une frenchie à la découverte de l'autre bout du monde, partie voir là-bas si j'y étais.

mardi 19 mars 2013

Bellbunya 1 - L'approche de la communauté

Du fait de la double dimension de ce que j'ai vécu à Bellbunya, ce post et le suivant ont été vécus en parallèle. Et comme la connexion internet ici est plutôt légère, vous trouverez les photos ici.


Quand j’ai envoyé ma flopée de demande, début janvier, Joan, de Bellbunya Community, a été la deuxième à me répondre, en me disant qu’ils avaient une disponibilité pour un volontaire temps plein (6h par jour) au jardin à partir du 16 janvier, ce qui me convenait parfaitement. Timing parfait, une fois encore (à ce moment, je n’ai toujours pas appris à me méfier du « timing parfait » ^^). J’arrive donc comme une fleur en début d’après-midi, sans bien trop savoir où aller car il y a un certain nombre de bâtiments. Je hèle un homme travaillant à reconstruire l’un d’eux, et il me mène jusqu’à Joan. Visite des lieux, découverte de la salle à manger, de la cuisine commune et de son lot de règles et de tours de vaisselle et cuisine, du « café internet » (une pièce avec un modem et trois câbles ethernet), de la chambre que je partagerais (mais qui possède, luxe, sa propre salle de bain et ses toilettes) dans le bâtiment commun… Et en parallèle, présentation à toutes les personnes que nous croisons, membres ou volontaires comme moi, qui, toutes sans exception, buttent sur mon prénom, pendant que j’essaye désespérément de stocker toutes ces informations dans ma mémoire. Un peu étourdie, je transfère mes affaires dans ma chambre, m’installe, vais faire un tour du jardin, et très vite il est déjà l’heure du dîner. Ici on mange à 18h30, comme les poules, qu’il faut d’ailleurs enfermer avant le dîner.

Part importante de la vie de la communauté, le diner n’est pas optionnel. De toute façon, la plupart des membres de la communauté n’ont pas de cuisine (ni de salle de bain d’ailleurs) et ne « possèdent » guère que leur chambre. Une cloche 15 minutes avant, pour annoncer que c’est bientôt près, une seconde, accompagnée du pouet pouet d’une trompe de voiture, au moment où on va servir. La cuisine étant centrale, les habitants affluent de tous les points alentours et se retrouvent dans la grande pièce où le dîner est servi, pour un moment tous ensemble. Chacun donne la main à ses voisins, la droite au-dessus, la gauche en dessous, et, suivant les volontaires chargés de cuisiner, on ferme les yeux et on respire profondément, on chante une des chansons favorites de la communauté, on prend un moment pour réfléchir à ce pour quoi on est reconnaissant aujourd’hui, ce qui a illuminé notre journée... Un « Ommm » collectif, et puis petites annonces, s’il y a. Ce soir-là, c’est ma présentation, et les adieux à Marie, que je remplace au jardin. Un tour de prénom, pour que chacun se présente, et je suis poussée vers les plats « les derniers arrivés se servent en premier ! ». Un peu mal à l’aise, je m’exécute et vais m’installer à une des deux longues tables, sans trop bien savoir où me mettre. Les trois ou quatre personnes suivantes s’installent à l’autre, à part. Mince, est-ce que j’ai fait une erreur ? Et puis finalement certains s’attablent avec moi, chacun commence à manger et les discussions s’enclenchent. A la fin du repas, chacun disparait dans son coin et, un peu déboussolée encore, je rejoins ma chambre. Je commence à 6h demain matin, il est 20h, le soleil est couché depuis 1h30 et je suis claquée. Bon ben… au lit alors. Heureusement, les autres soirs, ce sera plutôt jeux de cartes jusqu’à des 22h, méditation guidée par Carolyne, ou discussions avec les autres wwoofers et certains des membres.

Rapidement un rythme s’installe. Levé tôt, de plus en plus tôt même, pour pouvoir travailler un peu plus de deux heures avant d’être terrassée de chaleur (vers 8h du matin… les joies de l’exposition plein Est), j’entraîne bientôt dans mon rythme les filles qui bossent comme volontaire temps partiel avec moi au jardin : Line et Stefanie, puis Isobel. Toujours la première au jardin, un thé à la main, je profite des premières lueurs du soleil et me sens spéciale, face à ce paysage incroyable qui émerge doucement des brumes matinales comme j’émerge de celles du sommeil. Pour quelques instants je suis une reine contemplant son royaume. Puis commence une des parties peu agréables du travail : la patrouille insectes. Gants de chirurgien sur les mains, je récolte les insectes prédateurs sur les différentes plantes, et les écrase, entre les doigts ou sous mes chaussures. C’est ce qu’on appelle du contrôle biologique, pas d’insecticide, juste de l’extermination manuelle… En faisant le tour des cultures, je suis censée déterminer lesquelles ont besoin d’eau et les indiquer à mes camarades, qui se chargeront de commencer l’arrosage. L’autre avantage de commencer si tôt c’est que je peux sans culpabilité arrêter à 10h pour reprendre à 15, quand le soleil est passé de l’autre côté de la colline et que la chaleur tombe. Il y a largement de quoi faire et je ne m’ennuie pas, passant mes heures libres à siester, lire un peu plus sur la permaculture et papoter avec les membres et volontaires. Avec tant de personnes (une vingtaine en permanence), il y a toujours quelqu’un dispo pour discuter.

Les jours s’écoulent doucement, je m’attache à cet endroit, à ces gens, je me fais des amis et refait le monde avec Fabio, l’italien arrivé en Australie il y a 6 mois sans parler un mot d’anglais, Line, la suédoise, venue ici pour une étude sociologique sur les communautés, Stefanie, l’allemande, 22 ans, 2 ans de voyage derrière elle et de retour à Bellbunya ou elle partage la même chambre que moi et passe ses dernières semaines avant le retour au pays, dans le froid hiver germanique, Isobel, la New Yorkaise, a sa place ici comme un chat de race au milieu de chats de gouttière, venue au départ pour 2 semaines sur ces 4 d’Australie et qu’on poussera gentiment à voyager et profiter, plutôt que de « perdre son temps de visite » ici, à wwoofer. Et puis Joan, minée lentement par l’ostéoporose, Brett, qui a gardé son accent américain en quittant Hawaï et s’est installé ici dans une minuscule chambrette de terre-paille où il se consacre à l’étude du massage, après avoir possédé une immense baraque avec « tout le confort moderne », Karston et Karston, qui viennent tous deux du Danemark, ne se connaissaient pas, et ont décidés, chacun de leur côté, d’intégrer cette communauté, l’un pour en construire les bâtiments, l’autre pour en bâtir la dynamique, Chris, soigneur, d’humains et de poules, attrapeur de python, qui me prendra dans ses bras pour me dire tout doucement « tu as fait tout ce que tu pouvais » quand la tempête ravagera le jardin, Jade, insaisissable elfe, masseuse à la douce lumière, qui est si difficile d’accès et si fascinante… d’autres encore.

Si mon scepticisme à l’égard des communautés n’a pas complètement disparu, faire partie de la vie de celle-ci, toute jeune encore, et rencontrer toutes ces belles personnes m’a secouée très profondément. C’est une famille qui vit ici, avec ses membres boiteux, ceux avec qui il est plus difficile de s’entendre, ces décisions qui doivent être consensuelles et qui prennent pour cela des heures et des semaines de discussion. Bien sûr, la communauté est dans son enfance (4 ans qu’elle est créée) et n’est pas encore fonctionnelle telle quelle. Elle se cherche encore, cherche le pourquoi de ce vivre ensemble, l’intention derrière ça. Bien sur le poids de la dette à rembourser pour l’achat de ce lieu avec toutes ces infrastructures pèse beaucoup sur la tranquillité des esprits et fait prendre aux membres de mauvaises décisions en termes de recrutement de nouveaux habitants et de gestion des wwoofers (trop de volontaires, qui doivent soit payer 10€ pour leur logement et nourriture malgré 3h de boulot quotidienne, soit travailler, comme moi, 6h par jour). Et puis leur manque d’implication au jardin, qui pourtant les nourrit jour après jour, me sidère. Mais même s’ils se cherchent encore, ces gens rayonnent. Ils s’ouvrent à vous et vous remplissent d’amour, il y a toujours quelqu’un pour vous demander ce que vous avez fait de votre journée, si tout va bien, et pour vous écouter, vous écouter vraiment.

Alors à mon dernier repas du soir, je fais un tour du cercle de toutes ces belles personnes et les remercie de ces deux semaines où j’ai, simplement, été heureuse, malgré le temps et les soucis au jardin. Je leur dit aussi que je regrette de ne pas avoir eu le temps de parler, de me connecter à certains d’entre eux, et puis nous rompons le cercle, pour un dîner qui sera bien morose. Stefanie quitte la table à peine son assiette finie et je la retrouve effondrée sur un canapé, les yeux brillants de larmes. Je prends dans mes bras cette grande saucisse d’1m80 et elle pleure contre mon épaule, tandis que je lui caresse les cheveux et lui assure, comme je l’ai dit à tant d’entre vous, que je ne disparais pas, que je continue juste mon voyage, que j’en ai besoin, mais que ça ne change rien au fait que nous sommes amies, et qu’il ne tient qu’à nous de faire vivre cette amitié.

C’est la gorge serrée d’émotion que je me dirige vers mon van, même si je ne regrette pas de partir car en termes de jardinage pur, je n’apprends pas assez ici. Et puis j’ai une belle opportunité qui m’attend, une des pionnières de la permaculture a accepté de me faire travailler quelques jours…

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